Les Echos : Handicap : la bienveillance est de mise pour travailler avec un ESAT
Friendly Frenchy et Marguerite & Cie se sont lancés
dans l'aventure entrepreneuriale au côté d'un Etablissement et service d'aide par le travail (ESAT). Les deux jeunes pousses recommandent cette collaboration pour évoluer et changer d'échelle.
« Certains de mes patients travaillaient à l'Esat (Etablissements et service d'aide par le travail) de Quimper ». Gaële Le Noane, ancienne orthophoniste et fondatrice de l'entreprise bretonne Marguerite & Cie, a choisi de travailler avec les personnes en situation de handicap de cet Esat afin de remplir les recharges de ses distributeurs de protections menstruelles biologiques.
Ni une ni deux, elle l'a contacté et s'est lancée. Ce partenariat « aide à la réinsertion des personnes en situation de handicap que ne sont pas acceptées par la société », soulève la fondatrice, qui emploie 20 salariés et collabore avec 36 personnes en Esat et Entreprise adaptée (EA) pour dégager un chiffre d'affaires de 2,6 millions d'euros en 2022 .
Donner du sens au projet, c'est aussi le parti pris de Sandrine Guyot, cofondatrice avec Laurent Pezé de Friendly Frenchy, des lunettes fabriquées à base de coquillages nettoyés dans l'Esat de Crac'h (Morbihan) situé à moins de 10 kilomètres de l'entreprise. La marque, qui emploie trois salariés et dégage un chiffre d'affaires 2022 de plus de 500.000 euros , conçoit sa collaboration avec l'Esat bretonne comme une évidence. Ses salariés nettoient uniquement les belles coquilles Saint-Jacques bien calibrées pour l'industrie agroalimentaire. Le duo a donc décidé de reprendre les coquillages « moches » pour fabriquer ses lunettes.
Les salariés de l'Esat doivent être impliqués dans le projet en expliquant leur rôle et la finalité de leur travail. « J'ai pris le temps de les rencontrer pour parler du projet et parallèlement lever tout tabou sur les règles », se réjouit Gaële Le Noane. Cela permet de donner un sens à cette réinsertion, selon l'entrepreneuse. La cheffe d'entreprise de Friendly Frenchy se souvient très bien de l'explication du projet aux salariés : « L'un d'entre eux s'est exclamé « je vous avais bien dit que l'on pouvait faire autre chose avec ces coquillages ! ». »
Economies et gains de qualité
Du recyclage et du sens, mais pas que. En France, près de 2.300 Esat et Entreprises adaptées (EA) maillent le territoire. Denis Charrier, directeur général du réseau Gesat chargé de mettre en relation des entreprises avec des Esat, précise que « beaucoup de jeunes entrepreneurs veulent inclure dans l'ADN de leur entreprise une politique d'inclusion. Ils nous contactent en phase d'élaboration de leur business model . Les patrons de PME viennent chercher un partenaire industriel et une qualité supérieure de travail. » Les deux entrepreneuses confirment avoir fait appel à un Esat dans un objectif de qualité et non pour des coûts de production moins importants.
Malgré tout, travailler avec un Esat réduit de 30 à 75 % du paiement de la contribution financière à l'Obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH) pour les entreprises de 20 salariés et plus. Pour rappel, ces entreprises doivent avoir 6 % de leurs effectifs en situation de handicap pour ne pas la payer. Autre possibilité : acheter des biens ou des services auprès des Esat ou EA. « La collaboration avec un Esat permet de déduire l'OETH », soulève Serge Widawski, directeur général du réseau d'Esat et EA de l' association APF Entreprise.
1 - Identifier la structure
APF Entreprise et Gesat identifient l'établissement adéquat pour répondre aux besoins des entrepreneurs. Une fois ce dernier choisi, Denis Charrier conseille de visiter les locaux et de rencontrer les personnes en situation de handicap qui y travaillent. « Il y a beaucoup de clichés sur le travail en Esat. L'entreprise doit s'y rendre physiquement pour connaître la structure », affirme-t-il. Ce premier contact sera primordial afin de développer une relation sur le long terme : l'entrepreneur y découvrira les méthodes employées et développera ainsi un cahier des charges plus adapté.
2 - Avoir un cahier des charges claires
L'entrepreneur doit ensuite préciser clairement son souhait. « Il ne faut pas hésiter à détailler au maximum le mode opératoire, étape par étape si besoin, sans toutefois exiger de cadence », précise Gaële Le Noane. L'entrepreneuse a mis en place un code couleur associé à des formes pour aider les salariés de l'Esat à bien différencier la manière de conditionner les serviettes hygiéniques et les applicateurs menstruels. « Il faut prendre en compte les contraintes horaires du secteur et la capacité à produire en volume de l'Esat en fonction des besoins de l'entreprise », ajoute le directeur du réseau Gesat.
3 - S'inscrire sur le long terme
Patience est mère de vertu. Sandrine Guyot de Friendly Frenchy l'a bien compris : « La mise en place d'une collaboration avec un Esat peut prendre du temps : cela nous a pris quasiment un an et demi. » Une fois l'accord-cadre avec la structure signé, l'équipe encadrante doit former ses salariés et cela prend aussi du temps. « Il est nécessaire de continuellement adapter les postes », rappelle Serge Widawski. La fondatrice de Marguerite & Cie a simplifié le processus après une visite sur place : « J'ai vu une salariée galérer avec le scotch double face pour fermer nos boîtes de protections menstruelles, donc le conditionnement a été repensé pour faciliter sa tâche. »
4 - Anticiper le développement
« J'ai anticipé ma croissance en signant des accords-cadres prévoyant le changement d'échelle », insiste Gaële Le Noane. Désormais, la fondatrice de Marguerite & Cie travaille avec deux Esat à Quimper (Finistère) et à Herblay (Val-d'Oise), et une entreprise adaptée à Briec (Finistère). Made in France , inclusivité et quête de sens , toutes les occasions sont bonnes pour valoriser le travail des personnes en situation de handicap.